Je suis en compagnie du groupe de l’après-midi de l’exercice KAIROS Blanket (KBE) offert à la salle d’exercices Thompson de la BFC Kingston le 23 mai 2019. Nous formons tous un grand cercle. Lynda Gerow, directrice de l’entreprise Turtle Island Indigenous Catering et animatrice principale du KBE, nous accueille. La forte pluie enterre le son de sa voix au microphone. Nous sommes sur les terres traditionnelles des Mohawk et Ojibway.
Un aîné s’approche de nous, tour à tour, avec de la sauge d’odeur qui brûle dans une coquille d’ormeau. Nous purifions l’air au son du bruit blanc de la pluie jusqu’à ce que nous entendions un appel, comme un son de cloche, qui résonne jusqu’au bout du couloir. Une voix répond à cet appel, puis une autre. Elles s’élèvent et redescendent dans le cercle.
La pluie s’estompe et nous l’écoutons tomber doucement alors que la fumée foncée s’élève.
Nous nous assoyons, pieds nus, avec le nom d’un enfant chéri dans nos poches. Une grande curiosité nous habite. De nombreuses couvertures sont déposées sur le plancher devant nous. Elles représentent l’île de la Tortue (le Canada, les É.-U. et le Mexique), et nous sommes les peuples autochtones avant l’arrivée des colons. Nous sommes invités à explorer l’île de la Tortue. Nous nous déplaçons dans le cercle. Nous bavardons. Nous faisons des échanges. Certaines personnes reçoivent des cartes de couleur.
Le KBE, un atelier unique de 90 minutes qui porte sur plus de 500 ans de l’histoire autochtone du Canada, vise à accroître la sensibilisation et à mieux faire comprendre notre passé commun. Durant cette période, certaines pratiques autochtones sont devenues interdites en raison de lois canadiennes qui ont été adoptées. On nous enlève nos objets culturels et spirituels. Nos mouvements sont restreints alors que les couvertures sont mises de côté. Les mains vides, nous traînons les pieds dans les piles inégales.
Les cartes de couleur sont expliquées. Elles représentent les personnes qui sont mortes de la variole et d’autres maladies européennes, les personnes qui ont marié des non-Autochtones et qui ont perdu leur statut autochtone et les femmes disparues ou assassinées. On demande aux gens qui ont des cartes de regagner leur place.
On explique à une femme qu’elle représente tous les enfants qui ont été retirés de leurs familles pour être placés dans des pensionnats ainsi que ceux enlevés durant la rafle des années 1960. Elle se place debout, à l’écart des autres. On nous demande de remettre les noms qui se trouvent dans nos poches, les enfants chéris, et ils sont placés sur la couverture près d’elle.
Ils sont partis maintenant et il se pourrait que nous ne les renvoyions jamais. Bon nombre d’entre eux mourront. La majorité grandira en ne connaissant pas le sens du mot « famille » et ne sachant pas ce que cela signifie d’être Autochtone. Ces échecs constituent une grande source d’embarras pour leurs aînés. On nous demande de tourner le dos aux femmes, de montrer cet embarras et leur isolement.
La privation de nourriture, le suicide, des frontières érigées par le gouvernement, de nouvelles définitions sur l’admissibilité au statut d’autochtone. La liste est longue et bon nombre de personnes doivent retourner à leur siège.
Après la cérémonie, une plume circule dans la salle. On nous donne la liberté de parler librement. Certains pleurent. Il y a des excuses et des témoignages de gratitude. On nous demande de penser à l’expérience émotionnelle et intellectuelle que nous avons vécue durant la cérémonie. De songer à la façon dont les peuples autochtones et non-autochtones peuvent nouer des liens significatifs afin d’améliorer le mieux-être de tous les Canadiens.
Juin est le Mois national de l’histoire autochtone et le 21 juin la Journée nationale des peuples autochtones. Pour en savoir plus sur ces événements qui se déroulent à Kingston, cliquez ici.